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sentiment de vanité nationale, que si là-bas on se faisait une idée des Canadiens en écoutant notre representative man, comme disent les Anglais, nous ne pourrions pas être jugés a une meilleure mesure.

Son discours prononcé à la fête de la Saint-Jean-Baptiste, en 1880, marque le point culminant de son renom d’éloquence. On se le rappelle, la Saint-Jean-Baptiste avait été célébrée, cette année-là, avec une pompe et un éclat extraordinaires. Jamais la vieille cité de Champlain n’avait vu une pareille réunion de Canadiens-Français venus des villes et des campagnes du Canada et des États-Unis. Comme président du congrès catholique et comme vice-président de la Convention nationale, le juge Routhier joua un rôle proéminent dans ces grandes solennités, qui durèrent trois jours. Ceux qui ont eu la bonne fortune d’entendre les deux discours qu’il prononça alors ne les oublieront jamais, car ils créèrent un enthousiasme universel et ils eurent du retentissement jusqu’en Europe. La plupart des journaux les publièrent, en commentant l’orateur. La Minerve le salua comme « le champion du parti catholique. » L’Étentard le proclama « le roi de nos orateurs, » et le Courrier du Canada disait : « Jamais encore, au Canada, nous n’avons été témoins d’un semblable enthousiasme. » Ces discours resteront comme des modèles du genre, et, depuis lors, le juge Routhier a été, avec Chapleau, Laurier et Mercier, l’orateur obligé de toutes les fêtes nationales.

Le juge Routhier ne s’est pas contenté de nous donner neuf à dix volumes de prose, que l’on devrait trouver dans toutes les bibliothèques canadiennes : il a aussi, comme on disait jadis, courtisé les muses ; ses accointances avec ces aimables personnes nous ont valu de charmantes poésies. Que le juge Routhier soit né poète, tous ses écrits, vers et prose, en témoignent surabondamment, tellement ils sont imprégnés de poésie. Mais, à notre sens, il n’a pas assez pratiqué la versification. Il en est de l’art poétique comme de l’art musical : il a pour compagnon obligé le métier. Sans le métier, l’artiste est incomplet. On peut être musicien et incapable d’exécuter un morceau, faute de pratique. Si parfois la technique lui manque, jamais, par contre, l’inspiration ne lui fait défaut ; la vision de l’idéal et la forme imagée se présentent toujours en traits saisissants. Il a l’invention, la fécondité, la conception facile ; mais, si nous pouvions risquer une réserve, nous dirions que la facture du vers semble quelquefois le gêner, et qu’il ne trouve pas toujours la rime qu’il