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les âmes éprises d’idéal. Avec quel enthousiasme ne vit-il pas l’Europe dérouler devant lui ses richesses, et comme il dut passer d’un enchantement à un autre ! Aussi était-il admirablement préparé à apprécier les trésors artistiques du vieux monde. Ne profite pas qui veut d’un voyage de ce genre. Que de gens vont voir l’Europe Gros-Jean, et reviennent de même, avec quelques prétentions en plus ! Ce sont ces individus-là qui baillent à la Comédie-Française et ne trouvent matière à admiration qu’aux Folies-Bergères. Les voyages forment la jeunesse, complètent l’homme mûr, élargissent les horizons des uns et des autres. Les comparaisons forcées qui s’imposent à l’esprit, entre la patrie et les pays étrangers, dissipent bien des idées fausses, rapetissent certaines choses pour en agrandir d’autres, ramenant tout à un juste niveau. Mais, en ceci, chacun est impressionné selon ses moyens. Les uns rapportent des vues banales, des réflexions de guides. Ce n’est pas grand malheur encore ; mais, là où la calamité commence, c’est lorsqu’ils se mêlent, et à tout propos, de les communiquer à leurs voisins.

Cette rage de s’éditer a pris les proportions d’un fléau. C’est par centaines que les presses nous inondent chaque année de récits de voyages fastidieux, amas de redites. Tout autres sont les récits du juge Routhier. De prime abord, la marque d’un esprit original et prime-sautier vous frappe ; ce ne sont pas les réflexions du premier venu qui surgissent de ces pages animées. Quelle variété dans le récit ! Tantôt ce sont des souvenirs historiques qui se pressent sous sa plume, avec les réflexions qui naissent d’elles-même dans l’esprit du voyageur ; ailleurs, la narration prend un tour piquant, car il s’agit de saisir sur le vif un tableau de genre, une scène de mœurs. Lorsqu’il remonte en arrière, il ne s’attarde pas trop dans l’histoire ancienne : il aime à revenir au temps actuel, nous ouvre des échappées de vues sur le monde contemporain, glissant partout une pointe de modernité. S’il admire le passé, il est bien aussi l’homme de son siècle.

À son retour d’Europe, après son premier voyage, il donna, à l’Université Laval, une série de conférences qu’obtinrent un succès sans précédent. À Paris, elles l’auraient placé au premier rang des conférenciers en renom, à côté des LaPommeraye et des Sarcey. L’ancien adversaire de Jean Piquefort, M. Hector Fabre, se plut à rendre hommage au talent de M. Routhier, et lui exprima son admiration dans