Page:DeCelles - Les hommes du jour A. B. Routhier, 1891.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.

place au magistrat intègre et éclairé ; mais il n’abandonne pas le culte des lettres. Il s’y livre, au contraire, avec plus d’ardeur. La magistrature, dans un district judiciaire comme celui de Saguenay, où les assises n’ont que peu de durée et les causes peu d’importance, ne constitue pas une lourde tâche pour un esprit aussi actif que le sien : elle lui laisse des loisirs qu’il sait utiliser en se livrant à de fortes études. Il ne faut pas avoir pratiqué longtemps les œuvres du juge Routhier pour constater que son talent n’est pas tout de surface, comme celui de tant d’écrivains. Il a creusé le fonds des choses ; il a demandé à la philosophie de lui en faire saisir les raisons ; il a pénétré les secrets de l’humanité, et la réflexion lui a fourni ces grandes et fortes pensées qui abondent dans tous ses travaux, qu’anime un souffle si puissant de foi et de science.

Jamais, chez lui, la source de l’inspiration n’est trouble. Elle ne reflète que l’orthodoxie la plus sûre. Si Corneille et Racine, de Maistre et Veuillot ont formé son style, les Pères de l’Église lui ont permis de puiser chez eux son immense savoir. Le premier de ses ouvrages, par ordre de date, s’appelle les Causeries du Dimanche. Chaque page y porte une forte empreinte religieuse. C’est sur elles que s’exerça la verve de ses premiers critiques. On le taxait de rigorisme ; on l’accusait de vouloir usurper le rôle du prêtre, de faire du veuillotisme en petit. Ce n’étaient pas, disait-on, des causeries, mais des sermons, des traités de morale, et le persifflage allait son train. Nous ne sommes pas de l’avis de ces critiques ardents, qui réformeraient probablement leur jugement aujourd’hui, s’ils en avaient l’occasion. Pour nous, elles sont d’une lecture attachante ; et, si ce sont des sermons, nous en aimons la douce austérité. Ses écrits subséquents, sans être d’une teinte religieuse aussi prononcée que les Causeries du Dimanche, trahiront toujours le fond de sa pensée ; et ce sera l’honneur de sa plume, d’avoir tracé, à travers ses œuvres, un acte de foi.

Au milieu de ses labeurs, il était en proie à une vive préoccupation. Il manquait quelque chose à son activité. Élevé au milieu d’un pays jeune, où l’histoire ne date que de deux cents ans, sur un sol qui conserve à peine les traces de nos temps héroïques, il brûlait de voir la vieille Europe, avec ses monuments contemporains des hommes et des événements dont le souvenir nous passionne enfant et nous attire homme fait. Il avait cette hantise des choses du passé, qui tourmente