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s’appelaient Hector Fabre et Louis Fréchette. C’est vers ce temps-là, croyons-nous, qu’il soutint une polémique qui fit beaucoup de bruit dans notre monde littéraire de l’époque.

Quelques écrivains, mettant en commun leur esprit, publiaient, dans L’Opinion publique, sous le pseudonyme de « Placide Lépine, » une série de portraits dans lesquels plusieurs des hommes du jour se voyaient accommodés de toutes pièces. L’honorable M. Chauveau, entre autres, avait été pris à parti par le fameux Placide, dont le nom formait une violente antithèse avec les paroles. Ce n’était pas la bienveillance, tant s’en faut, qui distinguait ces portraits. La plus pure malice en broyait les couleurs ; les « portraiturés » ne se reconnaissaient pas sous les traits qu’on leur prêtait, au grand amusement de la galerie, toujours avide de méchancetés. Les rieurs se trouvaient tous d’un côté. Les choses étaient en cet état, lorsque Jean Piquefort vint, à son tour, faire de la peinture. D’une plume alerte, incisive, il traça les portraits des peintres couverts par Placide Lépine, et il en cuisit à ceux qui, jusque-là, avaient eu beau jeu. Sous son pinceau, la peinture se transforma en brûlure, et il y eut autant de rieurs d’un côté que de l’autre. Cette petite exécution faite, tout rentra dans le calme, sans que l’on ait gardé, ni à droite ni à gauche, de trop désagréables souvenirs de cette petite guerre. Disons, à l’éloge des uns et des autres, que l’on sut se tenir dans les bornes d’une critique, un peu acerbe, il est vrai, qui attaquait l’épiderme, mais n’allait pas au-delà. Jean Piquefort, qui n’était autre que M. Routhier, fournit alors la preuve la plus complète que, si son étoile l’eût jeté dans le journalisme, il aurait été l’un des polémistes les plus brillants et les plus redoutables.

Disciple et admirateur de Louis Veuillot, adversaire déclaré du libéralisme, il se pose fièrement sur le terrain politique, littéraire et religieux. C’est à ce triple point de vue que ses adversaires l’attaquent. Faisant face à tous, rendant coup pour coup, aux acclamations de ses amis devenus ses admirateurs, il prend un ascendant considérable sur la jeunesse. La force des choses le pousse au premier rang, en fait un chef d’école et un chef de parti. C’est pendant qu’il débute d’une façon si brillante, que le gouvernement l’appelle à la magistrature, en 1873. Parvenu à cette position, la plus honorable qu’un avocat puisse atteindre dans notre pays, il renonce au journalisme militant et à la politique. Le polémiste ardent et sarcastique fait