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« Mon père s’est toujours souvenu de cette parole de l’huissier, qui n’avait pas cru être si bon prophète, et il me l’a souvent répétée.

« Ce qui est certain, c’est que mon entrée au collège fut décidée le jour-même ; et ce fut le dernier de mes beaux jours d’enfance sur les bords enchanteurs du lac des Deux-Montagnes. »

Comme on le voit par ces notes, M. Routhier ne doit sa haute situation ni à sa naissance, ni à la faveur. Il appartient à cette lignée d’hommes d’élite, issus de ces vieilles et humbles familles canadiennes, réserves longtemps inexploitées de sève et de force d’où la patrie tire, de nos jours, les mieux doués de ses enfants ; c’est là que se recrute incessamment cette aristocratie de l’intelligence, largement ouverte, et heureuse de s’incorporer tous ceux qui s’élèvent jusqu’à son niveau par les dons de l’esprit et le travail.

C’est au séminaire de Sainte-Thérèse que M. Routhier a fait ses études classiques. On dit que les dispositions premières des élèves annoncent toujours quelle sera, plus tard, la caractéristique de leurs aptitudes. Tel qui est fort en thème dans ses humanités se révèle excellent mathématicien dans la dernière partie de ses études, assez pauvre philosophe, et, s’il entre dans l’état ecclésiastique, pauvre casuiste ; si sa vocation l’appelle dans le monde, il devient excellent négociant, homme d’affaires de premier ordre : c’était une nature positive. Tel qui, au contraire, témoigne du goût pour la littérature, se plaît aux amplifications émaillées de fleurs de rhétorique, fait un philosophe distingué dans les dernières années de son cours, pour passer, plus tard, écrivain, avocat ou journaliste. Quiconque aurait fait alors des pronostics sur le jeune Routhier aurait risqué de passer pour un faux prophète. Chose étrange, en effet ; notre orateur, à l’imagination si puissante, se distingua tout d’abord, au collège, dans les sciences exactes. Ce n’est que beaucoup plus tard que s’éveilla en lui la vocation littéraire. Il fit son droit à l’Université Laval et alla s’établir à Kamouraska, où il exerça, pendant onze ans, la profession d’avocat. Il se fit en peu de temps une très belle clientèle ; mais il avait le travail facile et sa profession lui laissa le loisir de collaborer au Courrier du Canada et au Nouveau Monde. Il se fit connaître dès lors comme écrivain de race, et ses premiers coups de plume eurent le retentissement de coups d’épée. Il y avait, vers 1871, toute une pléiade d’écrivains brisés à la polémique, dans les deux camps, et M. Routhier eut à ferrailler contre de fines lames, qui