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de vos protégés, cher maître, réjouissez-vous, c’est la meilleure du Salon…

La crainte avait été poignante. La joie fut extrême.

Renaud serra chaleureusement la main du président.

— Merci !… Merci !… À les voir j’avais cru !…

Il lit volte-face, s’apprêtant à partir, puis tout à coup s’arrêta.

Deux minutes de plus ou de moins qu’importait !

Il voulut assister au vote.

Ce fut l’affaire de quelques instants.

Lorsqu’il sortit du Palais pour porter lui-même l’heureuse nouvelle aux intéressés, le secrétaire de la commission avait apposé un timbre sur le châssis de l’œuvre.

La toile de Roger était enregistrée.

Ce fut une vraie fête chez Malcie quand la nouvelle arriva.

Le talent de Roger était reconnu. Roger était quelqu’un. L’avenir lui appartenait.

La femme du capitaine Jean ne se réjouissait pas seule.

Dans un autre cœur aussi silencieusement, une allégresse vibrait. Rien n’en transpirait, de cette joie, dans la crainte d’exciter encore le courroux de Mme Méen, car le fils de Blégny avait trouvé long le temps imposé par Berthe. Il s’était épris d’une jeune Normande, et la mère de Berthe ne pardonnait pas à sa fille d’avoir perdu pareille occasion, comme elle disait.

Depuis on ne parlait jamais de Roger, Mme Méen ne le permettait pas.

Cependant, par son frère, la jeune fille avait su que le tableau, accepté par la Société des Beaux-Arts, était exposé dans le Salon de l’avenue Nicolas II. Elle désirait le voir.

Combien de fois son imagination, et son cœur avaient-ils volé dans l’atelier où celui qui l’aimait travaillait pour la conquérir !…

Et c’était son aveu qui avait mis entre elle et sa mère une insurmontable barrière !… C’était l’aveu de cet amour propre si pur qui faisait qu’elles ne se comprenaient plus !…

C’était une tendresse loyale, combattue par l’orgueil maternel qui occasionnait de longues insomnies et la rendait si pâle, si pâle !…

Très souvent, répondant à une pensée intime, à ce sentiment doux, fort, puissant, qui mourrait avec elle, Berthe affirmait.

— Jamais, non, jamais, je ne me marierai.

Ce jour-là, Berthe et Maurice étaient seuls.

— Paris tout entier ira au Salon.

La jeune fille soupira.

— Seule, je n’ai pas le droit d’y entrer.

— Qu’est-ce qui t’empêche ?

— Ce serait le sujet d’une discussion avec maman. Inutile.

— Si cela t’est agréable, Berthe, je me ferai un plaisir de t’accompagner.

— Est-ce vrai ?

— Je ne crois pas que maman s’y oppose.

— Je t’en prie, ne lui en parle pas. Si nous ne pouvons accomplir cette sortie sans la lui soumettre, je préfère y renoncer. Si tu savais comme les paroles qu’elle me lance à chaque instant me font du mal !

— Elle me paraît cependant moins aigrie depuis quelque temps. Il faut lui pardonner. Elle avait rêvé pour toi des chimères. Toutes les mères sont comme cela. N’en parlons plus, cela te rend triste et me peine.

Berthe fit un collier de ses bras au jeune homme et l’embrassa.

— Oh !… toi, tu es bon !… bien bon !…

— C’est décidé, nous irons.

— Quand ?

— Dame, il ne faudrait pas que nous nous fassions pincer !… Maman dirait que