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Le coup de foudre l’a bouleversée. Mais, la minute tragique écoulée, ses mouvements et son visage sont redevenus ceux d’une personne maîtresse d’elle-même.

« Il faut bien, dit-elle, que dans les moments pénibles de la vie, quelqu’un ait assez d’énergie pour y faire face ».

Celui qui paraît le plus atteint ou du moins celui qui ne peut pas réagir c’est Maxime d’Hallon.

Le brave homme cependant ignore le drame qu’on est parvenu à lui cacher.

Il passe la moitié de ses jours dans la chambre de sa fille. Il la regarde, prend ses mains dans les siennes et murmure d’une voix nouée qui ne peut en dire davantage.

— Ma pauvre petite enfant, guéris vite. C’est bien triste sans lui.

Malcie entr’ouvre les yeux.

Elle comprend, puisque dans la main du vieillard ses doigts s’agitent.

Elle se tait.

S’il savait !…

Il se détourne les yeux pleins de larmes, va jusqu’à la fenêtre, afin qu’elle ne voit pas sa tristesse, regarde, dans la cour, revient murmurant d’un ton qu’il s’efforce de rendre ferme.

— Va, nous partirons pour la mer dès que tu pourras entreprendre le voyage. Jean demandera un congé.

À l’office, silence complet.

À part Fulbert, le personnel ignore le drame. La faiblesse de la malade est telle qu’on s’attend à un dénouement.

À la loge, deux femmes causent.

Une d’elles, la concierge de l’hôtel, se penche de temps en temps.

Pas commode, le capitaine Jean d’Anicet, depuis quelque temps… Tout l’irrite. On comprend que, pour un oui ou pour un non, il ferait maison neuve.

Très bas, les deux femmes reprennent leur dialogue.

— Alors, la pauvre petite dame ne va pas ?

— Tout ce que j’en sais, madame Barbillon, c’est par les domestiques.

— C’est égal, ce serait un malheur si elle s’en allait ! Une dame bonne comme le pain !… Une dame qui n’a qu’une idée : faire le bien ! Et voilà que son mari se monte le bourrichon ! Faut convenir aussi que, lorsque les femmes sont jolies — parbleu elles le savent bien — elles devraient se tenir sur leurs gardes, de ne pas se lancer dans les aventures !…

— Malgré tout, il faut espérer. Elle est jeune. Ça vaut mieux que tous les médicaments, madame Barbillon.

— C’est tout de même un bonheur qu’il ne soit pas arrivé malheur plus grand. Si vous aviez vu l’atelier après l’algarade.

— C’est miracle, en effet, appuya la concierge de l’hôtel.

— Je suis bien aise d’être venue. J’ai hésité. Quand on ne se connaît pas. On a beau être du même métier. Et puis toutes ces choses sont si délicates. Comme a dit M. Roger : « Allez-y franchement, madame Barbillon. Expliquez les choses telles qu’elles sont. Pas de détours. Cela ne vaut jamais rien, à plus forte raison dans pareilles circonstances.

…Me permettez-vous de revenir.

— Toutes les fois que vous voudrez. Je vous communiquerai ce qui arrivera. Je me figure facilement la préoccupation de votre locataire.

…Ce n’est pas lui, n’est-ce pas, qui peut se présenter ici ?

— Dieu l’en garde ! Ça en serait du joli si le capitaine l’apercevait !

Dès le départ de Mme Barbillon, la concierge de l’hôtel se souvint des deux lettres passées dans ses mains avec la recommandation de les donner à Mme d’Anicet seule.

Elle avait flairé quelque histoire d’amour, et dès le jour de la catastrophe, elle s’était dit que la petite femme n’avait pas joué assez serré.

Et voilà que, maintenant, au lieu de ses réflexions qu’elle s’était gardée de commu-