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…J’écoute votre parole encourageante.

…Je vois vos grands yeux bleus comme ceux d’une madone.

« Pour elle, j’irai au bout du monde ».

Il se leva, fit glisser sa chaise près de celle de la jeune femme, se rassit brusquement, prit une des mains gantées de Malcie, et là, tout près d’elle, son souffle l’effleurant, il murmura :

— Que sera-ce le jour où vous me permettrez de remplacer ce nom de Mme Jean d’Anicet, par le prénom très doux, très gracieux, de… Malcie ?

Il se courba davantage encore, et près de son oreille :

— …par le doux nom de sœur !…

Bouleversée, la jeune femme retint, affectueusement la main de l’artiste, son frère, et elle murmura d’une voix troublée :

— Nous ne devons ni l’un ni l’autre nous laisser dominer par l’émotion. Nous avons besoin de courage… Roger ?

Il ne fut plus maître de lui.

Dans un élan de tendresse, il porta la petite main à ses lèvres, la baisa, la rebaisa avec transport sur le poignet, au-dessus du gant.

Un bruit violent les fit sursauter tous deux.

Ils se tournèrent du côté où il s’était produit ce bruit.

Le bras armé, l’air tragique, l’œil dilaté, Jean d’Anicet pénètre dans la chambre.

Il lève la main, s’arrête, s’avance d’un pas encore et fait feu

…Une fois… deux fois, tirant au hasard, ne sachant où.

— Misérable !… Que faites-vous ?…

Une troisième balle part, sifflante, allant trouer le « Pont de Joinville ».

Malcie a vu Jean.

Affolée devant l’arme, elle lève la main, mais, tout à coup, sa tête s’incline lentement. Elle tombe sur le plancher.

Entre les deux hommes, ce fut une lutte terrible.

— Lâche fulmina Roger, vous avez atteint la plus sublime des femmes.

— Arrière !… arrière !… cria Jean comme un forcené. Il braqua le canon devant la poitrine du jeune homme.

Roger a vu le mouvement.

Parant le coup, il saisit le poignet du capitaine et fait dévier la dernière balle.

Les détonations ont été entendues de la loge.

La concierge se lève, les yeux hagards, les jambes flageolantes, elle courut à l’escalier.

Impossible de monter.

Tout son sang refoulé au cœur lui occasionne de violentes palpitations.

La pauvre femme a le pressentiment de ce qui se passe là-haut.

Des pas derrière elle lui font retourner la tête, sa main restant sur la rampe.

Un homme sanglé dans des vêtements à petits carreaux s’avance vers elle, la fixe.

— Vous ! madame, souffrante, voulez-vous mon aide.

— Merci. Que désire monsieur ?

Avec un accent qui ne permettait pas de mettre en doute son origine, l’étranger demanda :

— Concierge de la maison ? n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur.

Il consulta un superbe calepin et demanda :

— Est-ce bien ici le home du peintre Roger ?

— Oui, monsieur.

— Moi, grand amateur de peinture.

— C’est-il bien vrai, balbutia la brave femme non remise et l’oreille aux écoutes.

— Comment vrai ? que je veux voir sir Roger ? Je crois que oui que c’est vrai, et même bonne affaire pour lui. Ne faites pas attention à mon langage. Pour parler « quickly » je n’ai pas toujours l’expression propre.

— Je ne sais comment expliquer à monsieur…

L’air atterré de Mme Barbillon fut éloquent.