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Il est artiste. Il devrait se faire connaître. Il ne va pas assez de l’avant. La fortune n’est qu’aux audacieux.

— C’est dommage ! soupira Malcie.

Après une pause :

— Croyez-vous qu’il vendrait quelques-unes de ses toiles.

— Il en serait ravi. Il ne demande que cela.

— Un inconvénient se dresse. Il faudrait être un connaisseur. Malheureusement, ce n’est pas mon cas. À votre avis, que vaudrait ce petit tableau qui représente une allée ombreuse fort bien rendue. Dans l’allée se trouve une fillette qui apprend à un caniche le jeu du cerceau.

— Ces choses-là n’ont pas de prix, madame. Tout dépend de l’acheteur et de la signature.

— Mais encore !

— Roger serait peut-être très heureux d’en trouver vingt, vingt-cinq francs.

— Vous pensez ?

— Oui, madame. Je ne sais si vous avez remarqué l’élan du chien, le coup de vent dans les cheveux de la fillette, les branches qui, en route, s’entrecroisent.

— L’ensemble m’a plu. Je n’ai pas examiné de très près. Tenez, voici trente francs, voulez-vous en faire l’acquisition de la part d’une personne que vous diriez connaître.

…Ce mensonge est permis, n’est-ce pas, interrogea-t-elle gracieuse ?

— Oui, madame, répondit la mère de Maurice, lorsqu’on fait le bien aussi délicatement, tout est permis. Ici-bas, rien, ne se perd. Cela vous portera bonheur.

— Je suis très heureuse, assura Malcie. Mais j’ai des enfants. C’est en vue de leur bonheur à eux que je me dévoue. C’est pour obliger la Destinée à leur envoyer des joies.

Elle se leva, puis comme si elle s’était parlé, à elle-même :

— Je vais essayer dans mes relations, quelques placements.

Berthe restait silencieuse, mais comme elle aurait voulu crier sa reconnaissance à celle qui partait.

Comme elle aurait voulu lui dire « merci » de tout son cœur, du fond de son âme !

Trente francs ! Il y avait trente francs pour Roger sur la cheminée.

Ce n’était qu’un commencement.

Les relations de cette dame devaient être nombreuses… et de hautes et belles relations !…

Elle trouverait des acquéreurs.

On connaîtrait celui qu’elle aimait.

Il aurait des commandes. Le bien-être viendrait, puis l’aisance… Souvent elle avait entendu dire : « Un tour de roue suffit !… une chance !…

Après l’aisance, ce serait…

La chère enfant n’osait encore regarder l’horizon qui paraissait s’entrouvrir.

Son rêve !…

Oh ! mon Dieu !… serait-ce possible !…

Eh ! oui, son rêve, si Roger parvenait à se faire jour.

Ce n’est pas que la fortune la tentât ! Oh ! non !

Au contraire. Il lui semblait que plus l’ami de son frère serait pauvre, plus son affection, a elle, serait grande et plus elle aurait de motifs de se dévouer. Mais sa mère était là et jamais Mme Méen ne consentirait à ce que Berthe devienne la femme du peintre dans ces conditions.

Pouvait-elle lui envoyer des acheteurs ? Faciliter la vente de ses tableaux ? Hélas !

Aussi le cœur débordant de joie, elle suivait la visiteuse, écoutant le froufroutement des dessous en soie, la regardant, la détaillant pour ne pas l’oublier, pour la reconnaître, si, dans la rue elle passait à côté.

Madame, dit la mère de Maurice, nous aimons beaucoup M. Roger. Je vous assure que nous sommes bien heureux que vous vous intéressiez à lui. Il est digne d’intérêt, le cher enfant.

Le regard de Mme d’Anicet et celui de la jeune fille se rencontrèrent.