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çait couramment à côté de ceux de Salisbury, Balfour, Waldeck-Rousseau et de Delcassé. Jamais, je ne vis d’une façon plus sensible qu’à cette époque, qu’il était de ces individualités qui, par don de nature, possèdent un ascendant sur le peuple. C’était à l’exposition de Lille qu’il était allé visiter. Dès qu’il parut devant la foule, un frémissement passa à travers ses rangs comme une commotion électrique qui la mit sous sa domination. Elle se sentit en présence « d’un pasteur de peuples, » comme dit Homère, et comprit d’instinct que Laurier n’avait pas besoin d’être quelque chose pour être quelqu’un. Aussi, lorsqu’il prit la parole, l’enthousiasme de ses auditeurs se traduisit en une ovation délirante. On prétend que la démocratie, niveleuse par nature, s’écarte des grands talents et s’en détourne. Laurier a fait mentir en cette circonstance ce dire qui n’est exact qu’en présence des personnalités incomplètes auxquelles manque le feu sacré, communicatif du magnétisme. La démocratie — au moins la nôtre qui n’a pas été gâtée — va tout naturellement aux grandes individualités et semble avoir soif d’aimer et d’admirer.

Dans la continuité de notre œuvre gouvernementale, votre héros se montre bien de la lignée de nos grands parlementaires. Cartier, MacDonald, MacKenzie, ont manœuvré sous ses yeux, et ces grands ministres revivent, pour ainsi dire, en lui. Il sied à un leader de la Chambre des Communes d’imprimer aux débats une tenue qui impose, une dignité conforme aux intérêts dont elle est chargée. Il lui sied encore de modérer l’ardeur de ses partisans trop portés à provoquer l’opposition, de traiter celle-ci avec générosité et de donner, toute la latitude possible à ses adversaires en laissant cependant planer au-dessus de leur tête la