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LAURIER ET SON TEMPS

On se demande comment Laurier a pu, pendant si longtemps, jouer ce jeu dangereux, parler si souvent devant des assemblées si différentes, sur des questions si délicates, sans se compromettre et pourtant sans trahir ses convictions, sans violer la vérité.

Dans des circonstances critiques, il est allé à Toronto, la serre-chaude de tout ce qui est anglais et protestant, plaider la cause des jésuites et des Métis, et il a fièrement déployé le drapeau de ses croyances religieuses et nationales. C’était une entreprise hardie, téméraire même aux yeux d’un bon nombre de ses amis. Mais confiant dans ses forces et dans la justice de sa cause, il y est allé, il a parlé et il a vaincu.

Il eut d’abord à lutter plus d’une fois contre des interruptions tapageuses, mais ses appels émouvants au fair play britannique, ses explications lumineuses et ses réponses franches, courtoises et vigoureuses aux interrupteurs, triomphèrent de toutes les résistances et calmèrent les flots irrités.

Lorsque de sa voix la plus agréable, dans le langage entraînant d’un Chatham ou d’un Fox, il revendique devant un auditoire britannique, au nom des principes immortels de la constitution anglaise, le droit de parler et de plaider la cause de la justice et de la liberté, la cause de ses compatriotes, les têtes les plus orgueilleuses se penchent, les oreilles les plus rebelles écoutent.

J’ai trouvé dans un livre anglais, un portrait du célèbre Pitt qui ressemble singulièrement à Laurier. Que le lecteur en juge… le voici :

« À son entrée au parlement, il se montra supérieur à tous ses contemporains sous le rapport de l’éloquence. Il pouvait débiter une longue suite de périodes riches et sonores d’une voix, d’un ton argentin. Sa phrase était châtiée, élégante, harmonieuse… Personne ne savait mieux que lui être clair ou obscur. Lorsqu’il voulait être compris,