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LAURIER ET SON TEMPS

mants dans les cailloux, des filets d’or dans l’argumentation la plus serrée. Son éloquence plane dans une atmosphère illuminée, sur les sommets du monde intellectuel, s’inspire aux sources les plus pures, les plus fécondes de la vérité et de la justice. Son esprit dénote une heureuse combinaison du sens artistique de sa mère avec le positivisme de ses ancêtres paternels. On a dû remarquer qu’il est surtout fort et déploie toutes les ressources de son éloquence, lorsqu’il se fait l’avocat du droit et de la justice ; ses succès dans les questions du Nord-Ouest, des jésuites et de la démission de Letellier, en font foi.

L’âge, au lieu d’amoindrir son éloquence, l’a développée, l’étude, la réflexion et l’expérience ont élargi ses horizons et fortifié son argumentation.

Toujours maître de sa pensée comme de ses sentiments, il ne dit que ce qu’il veut dire et sort sain et sauf de situations où un mot malheureux aurait pu tout perdre. Il n’est peut-être pas au monde un pays comme le nôtre, où il soit aussi difficile à un homme public de dire ce qu’il pense ou ressent, surtout s’il est Canadien-français, d’exprimer ses sentiments nationaux ou religieux. Il faut que jamais il n’oublie qu’il parle à des auditoires où toutes les races, toutes les religions sont représentées, à des assemblées plus ou moins prévenues contre lui.

Que de fois il est obligé de retenir le mot prêt à partir, de chasser une belle idée, de refouler un sentiment national ou religieux, de se torturer l’esprit pour voiler sa pensée, pour trouver l’expression inoffensive ! C’est une situation peu favorable aux mouvements oratoires, et dangereuse pour les caractères qui ne sont pas fortement trempés.

Ce besoin constant d’épier ses pensées, ses sentiments, de mettre de la diplomatie dans tous ses actes, dans toutes ces paroles, engendre naturellement la dissimulation, déforme les caractères chez les hommes faibles.