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LAURIER ET SON TEMPS

contribua sans doute à altérer sa santé, à le réduire à l’état déplorable où on le trouva à son retour. Mais la maladie dont il souffrait ne lui enleva pas la force morale dont il eut besoin pour résister à toutes les tentations, pour conserver son indépendance. Ses discours, en Angleterre comme en France, ne diminuèrent pas la réputation d’orateur qu’il s’était faite, lors de son premier voyage en Europe, mais les fauteurs de l’impérialisme ne purent cacher leur désappointement. L’idée de faire arborer le drapeau de l’impérialisme par un Canadien-français n’était pas, il faut l’avouer, vulgaire.

Un jour, Chamberlain l’avait pris à l’écart après un dîner où il l’avait mis en présence des premiers personnages de l’Angleterre, et lui avait fait part de son désappointement, de son chagrin de le voir si rebelle à des projets destinés à assurer l’avenir de l’empire britannique. Il lui représenta combien il serait honorable pour lui d’associer son nom à une si grande cause, il lui fit voir sous les couleurs les plus brillantes, le rôle qu’il voulait lui faire jouer. À toutes ses instances, Laurier répondit que l’intérêt de l’Angleterre comme celui du Canada lui faisaient un devoir de combattre des projets qui auraient pour effet d’affaiblir les liens existants entre la Métropole et ses colonies, au lieu de les resserrer.

Comme Chamberlain le pressait vivement, Laurier lui dit :

— Vous croyez, peut-être, que je vous parle ainsi parce que je suis Canadien-français, eh ! bien, consultez mes collègues, qui sont anglais, et vous verrez qu’ils partagent mon opinion.

— Vous me permettez de les voir, de chercher à les convaincre, dit Chamberlain, tout heureux.

— Oui, dit Laurier.

Chamberlain les vit et rapporta à Laurier qu’il les avait trouvés aussi inflexibles que lui-même.