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ÉTUDE CRITIQUE.

elle en parfaite proportion, si l’on peut ainsi parler, il la voit à plein, sans avoir besoin d’intermédiaire ni de truchement : c’est la fameuse équation de l’intelligence et de l’objet.

Mais entre la nature et nous, il existe une disproportion flagrante, qui va diminuant avec le progrès de la connaissance, mais qui ne se peut contester actuellement, avouent les positivistes, qui ne disparaîtra jamais, ajoutons-nous, parce que supposer qu’elle puisse disparaître, c’est admettre que l’intelligence parfaite puisse s’identifier avec la nôtre.

Nos forces sont irrémédiablement bornées : celles de nos organes, comme celles de notre esprit. Nos yeux ne portent pas au delà d’un petit rayon : ils ne voient bien qu’en s’arrêtant sur un point ; mais ils ne peuvent s’y attacher longtemps. Notre attention elle-même a besoin de choisir et de se concentrer ; concentrée, elle se lasse. Aussi la réalité nous échappe dans son étendue et dans sa durée : parce qu’elle nous dépasse, il faut la restreindre ; parce qu’elle passe, il faut la fixer.

Comment donc la représenter sans aucun compromis, sans ce qu’on appelle « les conventions » ?

Seulement ces sortes de concessions peuvent aller au delà de ce que la raison réclame : alors, au lieu d’être naturelles, elles deviennent arbitraires : ce sont des excès où sont tombés successivement classiques et romantiques.

Peut-être, en effet, la raison la plus sévère ne commandait-elle point que les rois, les princes et les grands seigneurs parussent seuls sur la scène tragique, que leur gravité ne pût jamais s’animer d’un sourire, ni leur majesté se plier à cette aisance aimable et familière qui ne cesse pas de maintenir le respect ; que le roman, la pastorale et l’opéra ne fissent promener que des bergers et