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LE MYSTÈRE DES MILLE-ÎLES

raient vous froisser. Rendez-moi mes documents : je vous expliquerai tout et ensuite, je vous les redonnerai.

— Je ne crois plus aucune de vos paroles, mon cher : vous m’avez trop menti, lui répondis-je.

— Je vous ai menti, moi ?

— Oui, en me disant que vous ne connaissez pas le neveu de mon mari. Sachez donc que, cet après-midi, je me trouvais dans le restaurant où vous êtes entré avec le personnage en question et que j’ai été témoin de votre conciliabule.

« À ces mots, il resta cloué de stupeur.

— Partez, ajoutai-je. Je lirai ces papiers et je vous les renverrai. Mais, pas de malentendu : tout est fini entre nous. Je ne veux plus vous voir.

— Renée… commença-t-il.

— Pas un mot de plus : partez.

« Il courba la tête, puis, lentement, passa la porte.


— IX —


— Ensuite, j’ai lu le dossier, où, comme je l’avais pressenti, il était question de moi, et de quelle façon ! Je n’osais en croire mes yeux, tant il s’y révélait de scélératesse, de férocité. Mais, en même temps, je me félicitais du hasard qui m’avait permis de découvrir le sombre complot tramé contre moi : jamais je n’avais échappé à un plus grand danger, comme vous allez le voir.

« Le dossier était formé de lettres et de copies de contrats.

« Dans les lettres, Edward racontait à son copain Gaston le peu de succès de ses tentatives de mariage avec la veuve de son oncle John. Puis, il ébauchait un plan : Gaston me ferait la cour, se ferait aimer et épouser. Ensuite, avec l’aide de Jarvis, qui participerait aux bénéfices, on se partagerait la fortune. Jarvis se faisait fort de manipuler les millions de telle sorte qu’un beau jour, je me serais vue sans le sou et incapable de savoir où était passé ma fortune.

« Le projet était exposé avec un luxe de détails qui, je dois le reconnaître, faisaient honneur à la profonde astuce de mon neveu et de mon administrateur.

« Finalement, Gaston avait accepté et l’on avait rédigé un contrat, d’abord, pour éviter tout malentendu, ensuite pour pouvoir menacer de chantage celui des trois qui aurait voulu lâcher les autres pour tout garder. Car, chacun des membres du trio était nécessaire aux autres : Gaston devait pénétrer dans la place et gagner ma confiance pour que je m’en remette à lui du soin de surveiller la gestion de mes biens ; de cette façon, je ne me serais pas aperçue des manigances de Jarvis. Celui-ci, naturellement, devait opérer les transactions nécessaires à la réussite du plan. Quant à Edward, il servait d’intermédiaire et consentait à ne pas exiger de vérification de la comptabilité quand ma fortune lui serait remises officiellement, à ma mort.

« Tout était prévu avec soin dans le contrat et, surtout, la répartition des dépouilles. Un détail montrait que, malgré sa bassesse, Gaston était sensible à l’art : il s’était fait attribuer le château et les collections.


— X —


— Encore une fois, j’avais mal placé ma confiance. Mais, heureusement, mon cœur n’était pas en jeu ; comme je vous l’ai déjà dit, je n’éprouvais pas d’amour mais seulement de l’amitié pour Gaston.

« La découverte de ce complot me démontrait que Jarvis et Edward ne reculeraient devant rien pour en venir à leurs fins. Je sentais bien que je serais toujours en danger grave, près d’eux.

« C’est pourquoi, je décidai de m’enfuir en Europe, où ils n’oseraient pas me suivre et où j’espérais trouver des amis véritables qui me défendraient, au besoin.

« Un plan s’était formé rapidement dans ma tête. Je téléphonai à une agence de voyages et put retenir une cabine sur un transatlantique qui partait le lendemain même. Je ne tarderais donc pas à me rendre à Paris et, là, je ferais en sorte de me débarrasser de Jarvis, et par le fait même d’Edward, en faisant nommer un nouvel administrateur. Les preuves du complot, que j’avais entre les mains, devaient m’aider à le faire condamner. Mais il importait d’abord que je m’éloigne, car qui sait ce qu’ils mijotaient.

« Mes dispositions prises, mes préparatifs terminés à la hâte, je m’apprêtais, le lendemain matin, à me rendre au port pour m’embarquer.

« Le moment venu, ma femme de chambre, que je n’amenais pas avec moi, fit venir un taxi. Notez ce détail ; il a son importance, comme vous le verrez bientôt.

« Cinq minutes avaient à peine passé, que le taxi arrivait. J’y montai, en donnant le nom du navire où je me rendais.