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LE MYSTÈRE DES MILLE-ÎLES

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— Je pressens un mystère, ajouta-t-il. Je m’en voudrais de vous poser des questions indiscrètes. Mais je me mets à votre service, Renée chérie, pour déjouer les sombres calculs qu’on a faits sur vous ; j’ai même résolu, du droit que me donne mon amour, de vous délivrer de vos ennemis. Quels sont-ils ? Dites-moi tout ?

— Comme je vous l’ai dit avant le repas, répondit René, j’avais décidé de vous raconter mon histoire. Votre amour souffrira-t-il de mes révélations ? Je le crains. Mais, qu’importe ! il le faut.

— Que voulez-vous dire, chérie ? Vous faites sans doute allusion à votre mariage avec John Kearns ? Je le connais.

— Comment ?

— Votre histoire a fait quelque bruit et j’en ai entendu parler. Il s’est même formé une légende autour de votre nom, qui explique la stupeur où j’ai été plongé quand je vous ai aperçue pour la première fois sur la terrasse.

Le jeune homme raconta ensuite le roman que nous a fait connaître M. Legault, cet après-midi.

Et ici, — dit le narrateur, car c’est toujours lui qui parle, — vous voyez pourquoi j’ai ajouté mon récit aux deux autres : le sujet des trois est le même.

Quand Hughes eut fini de parler, sa compagne lui dit :

— Il y a du vrai dans tout cela ; mais combien de faussetés ! Et, d’abord, vous voyez que je suis bien en vie !… Notre repas est fini. Sortons, je vous raconterai l’histoire véridique de Renée Vivian… Après, si vous n’aimez plus la tragique blonde, vous vous éloignerez à jamais…

Il connut alors les premières joies d’un amour délicieusement partagé.

TROISIÈME PARTIE

— I —


Hughes était de plus en plus intrigué et il se sentait tout frémissant d’une curiosité impatiente qui était sûre d’être satisfaite.

Enfin, tous les mystères entrevus depuis trois jours allaient donc être éclaircis !

Mais sa soif de savoir ne venait pas d’une badauderie en quête de potins ou d’aventures scabreuses. Il était plutôt dans l’état d’esprit de tout amoureux qui désire connaître tout le passé de son aimée, afin de prolonger dans le temps la possession de celle-ci. Ce désir n’est sans doute que la manifestation de cet instinct, élément essentiel de l’amour, qui nous porte à rechercher, sinon l’éternité, du moins la prolongation la plus complète que possible de notre existence. Cet instinct, en somme, constitue, avec le besoin de s’appuyer sur un autre être, tout l’amour. Qu’est-ce, en effet, que l’amour ? On en a donné bien des définitions depuis qu’il y a des hommes et qui aiment. Si l’on y regardait de près, sans se laisser aveugler par des mensonges sentimentaux, l’on y reconnaîtrait tout simplement la terreur que nous éprouvons tous à l’idée de notre anéantissement dans la mort. Cet effroi nous fait rechercher l’être qui, en exaltant toutes nos forces d’aimer, nous donnera l’illusion d’une plus grande puissance et avec qui nous pourrons nous perpétuer dans des êtres issus de notre sang. L’amour, c’est, en définitive, l’instinct de conservation.

Mais, je m’écarte de mon sujet.

Je vous disais donc que l’aviateur attendait avec impatience le récit promis.

Il se réjouissait d’apprendre les détails de la vie de celle qu’il aimait ; mais, par ailleurs, il sentait bien que, des paroles que Renée allait prononcer, sortirait pour lui un nouveau destin.

La physionomie de la jeune femme l’indiquait bien.

Jusqu’à cet instant, elle avait été rieuse et enjouée avec son ami. Même en lui avouant son amour, elle avait gardé un je ne sais quoi d’ironie au coin des lèvres.

C’était sans doute une attitude. La véritable nature de Renée se révélait maintenant.

Son regard s’était fait distant et s’assombrissait du reflet d’un rêve ardent. On y entrevoyait des profondeurs de songeries longuement entretenues, toute une existence intérieure d’une ardeur qui donnait le frisson.

À cet instant, Renée Vivian était bien l’être d’exception de la légende, l’âme de feu que nous a fait connaître M. Legault.


— II —


— Mon histoire est fantastique, commença Renée. Elle ressemble parfois, comme ma légende que vous m’avez racontée, à un beau poème d’amour. Mais, par d’autres aspects, elle a l’allure d’un roman-feuilleton. Dans toutes ses parties, elle est tragique comme la vie. Mon destin a été bien étrange !

« Tout ce que je vais vous dire est véridique. Je veux vous faire une confession plénière, afin que vous vous décidiez en connaissance de cause.