Page:Daviault - Le mystère des Milles-Îles, 1927.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.
27
LE MYSTÈRE DES MILLE-ÎLES

 Les corrections sont expliquées en page de discussion

vie. Mais vous êtes venue dans un coin absolument solitaire et il m’était réservé, à moi, l’homme-oiseau, comme on m’appelle, de contempler cette apparition merveilleuse, peut-être en récompense des efforts que je fais pour explorer le firmament !

« Ne partez pas encore ! Permettez-moi de vous dire tout ce que vous avez mis en moi ; ce sera peut-être la seule fois.

« Mon cœur n’avait encore jamais vibré. Ah ! croyez-moi ! Aucune femme ne l’avait jamais ému : il attendait sans doute un être exceptionnellement digne de son affection.

« Il l’a rencontré enfin. Je l’ai senti quand je vous ai vue, blanche et blonde dans le couchant ; immatérielle, dans l’or du crépuscule. Votre silhouette se détachait sur un fond de décor, fait de rochers, de fleurs et de nappes d’eau. Vous étiez la souveraine de ce manoir somptueux, la fée de cette île enchantée.

« Je vous ai donné mon cœur, à cet instant même, sans discussion. Et ce don est irrévocable. Jamais je ne pourrai me reprendre. C’est pourquoi, ce soir, je sentais la nécessité de venir me mettre à vos pieds, comme votre humble esclave.

« Femme ? Oh ! oui, vous l’êtes et en vous se concentrent toutes les grâces de la femme… Je vous aime désespérément.

« Mais, je ne me fais pas d’illusion. Indigne de votre faveur, je ne laisserai rien dans votre vie et je ne garderai de vous qu’un souvenir, suffisant à alimenter ma passion, pour toujours.

« Je conserverai, au fond de mon regard, une vision d’amour. Ajoutez-y, de grâce, un nom : dites-moi comment vous appeler dans mes rêves solitaires ? »

La jeune femme avait laissé débiter ce morceau passionné sans proférer un son. Le sourire avait disparu de sa figure, pour faire place, d’abord à un étonnement joyeux, puis à une expression extasiée.

Quand Hughes se tut, elle prononça très bas :

— Je ne puis vous dire mon nom. Mais je vous remercie de me donner votre amour. Et maintenant, partez, ne restez pas : je vous ai déjà trop écouté.

— Ne vous reverrai-je pas ? implora le jeune homme.

— Oui, demain, à la même heure, ici.

— En attendant, exaucez ma prière. Sans me dire tout votre nom, dites quel prénom je dois donner à mon rêve.

— Si vous partez tout de suite…

— Je pars…

— Eh bien, appelez-moi Renée !


— IX —


Renée ! Le nom même de la femme de John Kearns, dont il avait appris l’histoire tragique.

Elle vivait donc ? Il n’y avait pas à en douter, puisqu’il l’avait vue, qu’elle lui avait parlé, qu’il lui avait même pris la main.

Alors, que devenaient les récits répandus partout ?

Un roman d’une fantaisie folle s’ébaucha dans l’esprit d’Hughes. Il imagina que, pour être plus seuls avec leur amour, pour éviter à tout jamais les importuns et ne vivre, réellement et complètement, que l’un pour l’autre, les deux grands amoureux avaient fait répandre le bruit de leur mort et qu’ils vivaient toujours, en chair et en os, dans leur île.

Cette hypothèse, à y regarder de près, n’était pas plus inadmissible que les versions couramment acceptées des aventures du couple Kearns.

Mais un petit fait suffisait à la démentir : l’abandon indéniable du château et de son parc.

Que penser ? Que croire ?

Le mystère s’épaississait de plus en plus.

L’aviateur n’y réfléchit pas trop longtemps.

— Qu’importe ! s’écria-t-il pour lui-même. Je suis sûr d’une chose : c’est qu’elle est bien une femme « en vie ». Et quelle délicieuse réalité ! Le reste s’éclairera en temps opportun.


— X —


Le lendemain matin, une surprise d’un autre genre attendait notre héros.

Quand il s’éveilla, au lieu de sauter en bas de son lit comme à l’ordinaire, il réfléchit longuement, les deux mains sous la tête et les yeux au plafond.

Un problème sérieux exigeait en effet toute son attention. Et il ne s’agissait plus d’éclaircir le mystère de la vie ou de la mort de Renée Vivian : c’était la question de sa propre existence qui se posait.

Un fait brutal : ses vivres étaient épuisées ! Le soir précédent, il en avait mangé le dernier vestige !

Que faire ? S’en aller ? Impossible, puisque l’aéroplane n’était pas encore réparé et, d’ailleurs, Hughes était bien résolu à ne pas laisser immédiatement la femme qui lui avait tant plu.