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LE MYSTÈRE DES MILLE-ÎLES

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description qu’on lui avait faite de Renée et il reconnut, avec un trouble compréhensible qu’elle correspondait parfaitement à celle de la chanteuse.

D’ailleurs, comment concevoir que d’autres personnes fussent venues habiter l’île tragique ?

Alors, que croire ? La belle Renée vivrait-elle encore ? Mais, non : tous ceux qui lui en avaient parlé étaient catégoriques sur ce point.

Faudrait-il penser que les âmes reviennent aux endroits où elles ont aimé ou souffert ? La forme blanche entrevue à la lueur du couchant serait-elle le fantôme de l’amoureuse légendaire, revenu hanter le château… son château ?

Infiniment perplexe, agité, l’aviateur frissonna, dans la nuit qui se faisait sombre.


— VIII —


Le naturel reprit bientôt le dessus chez Hughes, qui songea à se trouver un endroit où passer la nuit.

Puisque le château s’élevait à deux pas et qu’il était inhabité, pourquoi ne pas profiter de son hospitalité ?

La chanteuse s’y trouvait peut-être sous la forme d’une femme bien en chair ou d’un fantôme. Mais elle serait seulement une compagne charmante !

Le jeune homme pénétra donc de nouveau dans la maison et il alla se coucher dans une des magnifiques chambres, où il goûta un repos bien gagné.

Au matin, il était tout à fait remis et, après un déjeuner sommaire, dont les éléments venaient des provisions de l’hydroplane, heureusement abondantes, il explora avec soin les moindres parties de l’île.

Cette inspection ne révéla rien d’extraordinaire. Cependant, il fit une découverte qui pouvait donner à penser.

Dans une espèce de rade, était attachée une barque dont on s’était évidemment servi depuis peu. Mais, aucune trace de son propriétaire ne subsistait.

Comment avait-elle été amenée à l’île et quel chemin avait pris son pilote ?

Hughes s’arrêta peu à ces questions, car, plus la journée s’avançait, plus la pensée de la chanteuse fugitive accaparait son esprit.

La reverrait-il ? Il l’espérait avec ferveur, car il était étrangement attiré par le charme de l’inconnue.

Au crépuscule, tout en se raillant de sa naïveté, il tendait l’oreille pour entendre de nouveau le chant de la veille.

De nouveau, les mêmes sons s’élevèrent dans le couchant et, s’étant avancé, Hughes aperçut la même apparition éblouissante.

Une sorte de frénésie s’empara du jeune homme. Cette femme, il fallait qu’il la vit de plus près, qu’il lui parlât. En même temps, il craignait d’assister encore à une disparition mystérieuse.

C’est pourquoi, sans trop réfléchir, il s’élança sur la terrasse où se trouvait la chanteuse blanche et il apparut brusquement devant celle-ci.

Elle poussa un petit cri d’effroi et le regarda avec des yeux où se lisait un peu d’effarement, mais ne parut pas autrement étonnée.

Le premier moment de surprise passé, elle sourit au jeune homme, qui, abasourdi par sa propre audace, bredouillait :

— Madame, qui que vous soyez, femme ou fantôme, ne disparaissez pas tout de suite. Laissez-moi vous contempler, ne fût-ce qu’une minute.

Ces paroles naïves la firent sourire de plus en plus. Elle répondit :

— Mais, monsieur, quoi que vous soyez, gentilhomme ou bandit, où prenez-vous qu’une femme, ou un fantôme, obéisse à un tel ordre d’un inconnu ?

Hughes reprit ses sens et put poursuivre la conversation sur le ton enjoué qu’avait adopté la femme mystérieuse.

— Ce n’est pas un ordre, dit-il, tout au plus une prière.

— Et pourquoi l’exaucerai-je ?

— Parce qu’avec votre beauté, vous ne pouvez avoir un cœur dur : il est certainement compatissant à ceux que la flamme de votre regard a blessés.


— … percé jusques au fond du cœur
D’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle…


— Oui, il m’a suffi de vous apercevoir furtivement pour que votre charme agisse sur moi. Tout de suite, j’ai distingué ce qui, en vous, diffère tellement des autres femmes, à tel point que vous semblez formée d’une autre matière qu’elles. Et c’est pourquoi, incapable de vous situer parmi les vivantes que je connais, je vous ai cru un fantôme, renvoyé de l’autre monde sur cette terre par une bonne Providence désireuse de révéler à notre monde si laid un peu des splendeurs de la seconde