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LE MYSTÈRE DES MILLE-ÎLES

Le jeune homme frappa de nouveau ; puis une troisième et une quatrième fois. Comme le premier, ses appels restèrent sans réponse.

Hughes remarqua alors le silence complet dont s’enveloppait la maison, le jardin, toute l’île. Aucun bruit ne se faisait entendre, sauf le clapotis de l’eau au bas de la falaise.

Il constata également des signes d’abandon complet : l’herbe poussant entre les pierres du pavé qui entourait le château ; les fenêtres soigneusement fermées et garnies à l’extérieur de toiles d’araignées ; surtout, l’air de tristesse indéfinissable mais invincible qui entoure les demeures délaissées. Pourtant, bien qu’il fut peu soigné, le jardin portait les traces d’une présence humaine : ces sentiers battus, ces fleurs… c’était une énigme de plus.

Sans s’arrêter à se poser des questions sur cette solitude, l’aviateur songea que la maison lui fournirait tout de même un abri. Mais, avant de chercher les moyens d’y pénétrer, il fallait manger, car le dernier repas était déjà lointain.

Heureusement, le jeune homme avait apporté des provisions dans son aéroplane. Pourvu quelles ne se fussent pas perdues dans l’atterrissage forcé, tout serait bien.

Les provisions étaient intactes. Avec un appétit creusé par toutes les émotions de la journée, Hughes avala un nombre respectable de sandwiches et de biscuits.

Puis il revint vers le château. À l’angle de la façade, se trouvait une petite porte qui s’ouvrit dès que le jeune homme eut tourné la poignée.

Il pénétra à l’intérieur, mais, tout d’abord, il ne distingua rien, car la porte s’ouvrait sur un couloir de côté, complètement obscur. Bientôt, il remarqua un autre couloir allant le long de la façade et au bout duquel il voyait une lueur.

Hughes suivit ce dernier corridor, qui l’amena au vestibule d’entrée, source de la clarté qu’il avait aperçue.

Ce fut un éblouissement. Vaste, haut de murs, délicieusement décoré, le vestibule donnait l’illusion d’un portique de temple. Il était éclairé par de hautes fenêtres garnies de verrières et par un dôme aux verres dépolis.

Les murs étaient recouverts de grands tableaux et de vieilles tapisseries. Formé d’une mosaïque savante, le parquet ne portait aucun tapis, sa beauté suffisant à satisfaire le regard. La muraille était de marbre jusqu’à la hauteur d’appui. De hauts lampadaires de fer forgé, de lourds bahuts d’un autre âge et des fauteuils grands comme des trônes meublaient le vestibule.

Devant tant de richesse, Hughes crut rêver. Il attendit longtemps ; il appela. Mais personne ne vint. Enfin, il se résolut à se mettre à la recherche des hôtes.

Sur cette première pièce s’ouvraient des salons dont la décoration et l’ameublement étaient aussi splendides.

Notre héros les parcourut. Puis il gravit les marches du monumental escalier qui s’élevait au bout du vestibule.

Là, plus encore qu’au rez-de-chaussée, il eut l’impression hallucinante d’être dans un temple, un temple de l’amour.

Les chambres à coucher, les boudoirs, la bibliothèque et jusqu’aux cabinets de toilette avaient été arrangés avec le souci évident d’en faire le séjour d’une femme aimée.

Les couleurs tendres, des tentures, les peintures — fresques ou tableaux — les sculptures, les bibelots et jusqu’aux reliures des livres reflétaient cette préoccupation. Tout portait à la rêverie sentimentale, aux émotions douces.

Mais la personne qui avait conçu le plan et la décoration de ces pièces n’avait pas, malgré sa passion dont elle avait donné tant de témoignages, une âme de fillette enamourée. Dans chaque objet on sentait, en plus de son aspect sentimental, une frénésie dans l’amour, une inquiétude indéfinissable qui finissaient par oppresser. Une atmosphère de passion brûlante flottait partout.

Hughes s’attarda dans sa contemplation, au comble de l’étonnement. Le plus étrange, c’est que la maison, où ne se remarquait pas de trace de poussière, était inhabitée. En effet, non seulement le jeune homme ne rencontra pas âme qui vive, mais il ne vit aucun article de vêtement, aucun objet personnel comme il en traîne même dans la demeure la mieux tenue.

Chaque chose était rangée avec soin, comme si le décorateur venait de partir et que le château, tout neuf, attendît ses maîtres.


— VI —


Quand Hughes sortit enfin, le crépuscule descendait lentement sur la terre, jetant une lumière exquise.

Le jeune homme sorti par la même porte qu’il était entrée, se dirigea vers l’autre extrémité du château.

Mais il s’arrêta bientôt, estomaqué : décidément, c’était la journée des surprises !