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LE BARON DE SAINT-CASTIN

Grandfontaine inaugurait un nouveau régime. Jusque-là, le sort de l’Acadie était confié à de grands seigneurs féodaux, qui recevaient l’ensemble ou du moins une notable partie du territoire, à charge d’y installer des colons. Certains de ces seigneurs (Poutrincourt, Razilly, Aulnay) avaient accompli une œuvre admirable, se ruinant du reste à la tâche. C’est à eux qu’on doit la fondation de l’Acadie et l’existence d’une nationalité acadienne. Jamais la France officielle ne devait accomplir autant qu’eux.

À partir de Grandfontaine, l’Acadie releva de la cour, représentée par des gouverneurs. Le résultat fut lamentable.

Les gouverneurs n’étaient pas des incapables. Ils manquaient de ressources.

Grandfontaine s’en aperçut bien vite. Animé des meilleures intentions, il s’était mis à l’œuvre dès son arrivée. Une enquête minutieuse, qui comportait le recensement des habitants, lui apprit les lacunes à combler. Ensuite, rien. Privé des moyens nécessaires, il ne put réaliser les réformes qu’il envisageait. D’un autre côté, il souffrit tout de suite du mal qui devait toujours ronger la colonie, c’est-à-dire les dissensions, les jalousies et les haines mesquines au sein de l’état-major.

Les gouverneurs de l’Acadie étaient traités en parias ; leurs collègues de la Nouvelle-France accaparaient le peu que la France accordait à l’Amérique septentrionale. On les laissait dans la pénurie, ne leur accordant pour toute pitance que de 1 200 à 2 000 livres par an. Ceux qui avaient de la fortune personnelle se tiraient d’affaire ; quelques-uns se ruinèrent à ce jeu. Les autres se livraient au commerce, avec les Anglais au besoin. C’est justement ce dont on accusa M. de Grandfontaine. Sans doute avait-on raison, mais on oubliait que le malheureux serait mort de faim sans cela. Le 2 novembre 1670, Frontenac écrivait au ministre : « L’état misérable où M. le chevalier de Grandfontaine, gouverneur de l’Acadie et de Pentagoët, a mandé à M. Talon qu’il se trouvait avec sa garnison, nous a obligé de songer aux moyens de le secourir, en lui envoyant d’ici la barque la Suisse avec les provisions qu’on a pu ».

Il était non moins dénué de moyens de défense. En face des colonies anglaises, actives, fortes et bien déterminées à vaincre l’Acadie, il n’avait que quelques soldats.