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On serait tenté de philosopher sur le destin remarquable qu’eurent les fameux mutins. Ce sont peut-être les seuls êtres humains qui aient jamais réussi à réaliser le rêve du Paradis terrestre.

C’est, en effet, d’un tel rêve que naquit leur aventure. Évidemment, ils songeaient d’abord à s’évader de la marine anglaise où, dans ce temps, les hommes étaient traités avec une brutalité inhumaine. Ils voulaient surtout, se créer un pays à eux, loin des contraintes des lois humaines, dans ces archipels où la vie est d’une douceur incomparable. Bien d’autres, avant et après eux, ont fait ce rêve. Eux seuls l’ont réalisé. Leur réussite a été si complète qu’elle s’est prolongée après eux, dans cette race de Pitcairniens qu’ils ont créée. Peut-on y voir la puissance créatrice d’une grande idée ?

La vie est paradisiaque dans les îles bienheureuses. Mais un danger y guette le blanc : la malaria, qui peut être mortelle, ou qui vide un homme de toute vitalité. Muspratt arrivant à San-Cristobal était un merveilleux animal humain. Sa force herculéenne, son habileté inégalable à tous les sports, en particulier à la nage, lui conféraient un prestige inégalable auprès d’êtres primitifs pour qui le bon fonctionnement de l’organisme est le bien suprême. Lui-même, du reste, considérait la force physique comme la plus précieuse richesse. La malaria en fit une loque. De deux cents livres, son poids tomba à cent quarante. La nage lui devint pénible, les longues marches impossibles. Depuis, la crainte d’une rechute toujours possible empoisonne son existence. Tel est le tribut qu’il faut payer dans ce « paradis terrestre » du Pacifique.

4 décembre 1937.