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fallait un passeport. Il le demanda au maire de Larcat, commune voisine du pays d’Andorre. Le maire refusa d’abord, puis, se ravisant, donna un rendez-vous à Tragine. C’était un guet-apens habilement monté. Tragine prit de nouveau le chemin de la cour d Assises. L’homme qui eut l’honneur de l’arrêter, pour le confier aux gendarmes, portait le nom poétique d’Antoine Delnomdedieu.

Les faits paraissaient évidents. Le procès traîna quand même. Outre que les bonnes gens manifestaient une répugnance invincible à témoigner contre leur bandit, celui-ci se disait si bien la victime des Pic, il invoquait avec de si bons arguments le cas de légitime défense que le jury et même les magistrats hésitaient. N’avait-il pas secouru Lavignasse après l’avoir blessé ? Il prétendait que ce Lavignasse l’avait d’abord menacé de sa faux. Il racontait aussi qu’il n’avait tiré que dans les jambes de l’ancien maire.

Et puis, il noyait le procès d’un flot de paroles intarissable. Quand le juge voulait l’arrêter, il s’écriait : « On veut me condamner sans m’entendre, comme on a fait à Jésus ! » Ou bien il trépignait de rage, jetait sa casquette par terre et la piétinait. D’autres fois, il affirmait : « J’aime mieux m’en aller ; vous ne m’écoutez pas, votre injustice me dégoûte ». Il joignait le geste à la parole et les gendarmes avaient toutes les peines du monde à le retenir.

La justice n’eut raison de lui que lorsqu’intervint le procureur général Plougoulm, avocat de grand talent, dont certain exploit inspira à Courteline l’une de ses meilleures comédies (celle où l’avocat de l’accusé devient brusquement substitut du procu-