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Les aventures de Perrine et de Charlot

lution. Et si je suis demeurée, enfants, c’est que la terre canadienne était devenue pour moi tout l’univers. Je ne voyais rien au-delà de sa forêt, de ses pins et de ses érables, de ses pâles ciels d’automne, de ses hivers éblouissants, de ses étés brûlants mais féconds. J’y étais venue de plein gré, voyez-vous, avec joie ! J’avais travaillé sans répit, soit à mon foyer, soit au dehors auprès des sauvages, qui ne connaissaient pas Dieu et n’avaient pas la moindre notion de bien-être.

Et puis, mon premier mari, Louis Hébert, ma fille aînée, Anne, son époux, Étienne Jonquest, dormaient paisiblement leur dernier sommeil à l’ombre de la chapelle des récollets ! Il ne fallait pas que leur repos fut troublé, si ce n’était par des voix françaises, très douces, s’interpellant au-dessus des fosses fleuries… Le sol canadien, me semblait bien à nous, Français, et, tôt ou tard, me disais-je, on saura le reprendre… Au retour des compatriotes, ne devait-il pas se trouver un visage ému de France pour accueillir les nôtres, et leur remettre le dépôt des chers souvenirs ? Trois années durant, je m’enfermai dans ma maison de Québec. La confiance que Dieu viendrait à notre secours, l’espoir d’une revanche donnaient des forces à mon cœur. Mais souvent, mes yeux pleuraient !… Chaque jour, sans y manquer, je m’accoudais, pensive, auprès de cette fenêtre… Au printemps, je devenais haletante… Viendrait-il, enfin, ce vaisseau au-dessus duquel claquerait, joyeux, le drapeau fleurdelisé ? Par un clair matin de juin, je fus exaucée. Mes petits…

Marie Rollet s’interrompt. Comme jadis des larmes voilent ses yeux. Elle revit des moments intenses, uniques !… Les enfants, d’un commun accord, se rapprochent. Ils regardent avec affection, cette matrone au cœur pieux et chaud.