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pour les malheureux, n’a pu écouter les plaintes de votre futur fiancé sans en être touché. Je viens plaider sa cause. Allez danser maintenant, ma bonne petite, avec votre amoureux… maladroit, parce qu’il vous aime trop, croyez-moi. Et vous, joli seigneur inconnu, votre reine vous honore. Vous danserez avec elle le prochain galop. »

Il n’y avait vraiment pour tous qu’à s’incliner.

La princesse n’y put toutefois tenir longtemps. Elle accorda deux ou trois minutes de galop, puis elle pria son danseur de vouloir bien la conduire dans le petit salon rouge, une de ses pièces favorites. Elle se sentait lasse, très lasse. À sa surprise, le seigneur de Rochelure ne fit aucune objection. Aussi bien, il semblait préoccupé, distrait, sombre,… et ses yeux se portaient souvent sur la reine et son compagnon.

Rochelure installa la petite Altesse aussi commodément qu’il fut possible. Il fit même glisser un paravent devant son fauteuil et éteignit plusieurs lumières. Puis, après un salut profond, sans un mot, il s’éloigna rapidement.

La princesse respira, soulagée. Enfin, on consentait à la laisser seule durant quelques instants. Ses yeux tristes errèrent, puis se fixèrent avec effroi sur la pendule de bronze de la cheminée. Elle marquait la demie de onze heures. « Dieu ! gémit la pauvre petite, plus qu’une demi-heure, et je devrai mettre, aux yeux de toute la cour, ma main dans celle d’un homme que je méprise et qui ne le mérite que trop, hélas !… Ah ! existe-t-il vraiment, ce soir, dans tout le royaume de mon père, du bon roi Grolo pourtant, un cœur plus torturé que le mien ?… Tout à l’heure, comment ai-je pu sourire ainsi, au beau chevalier blanc ?… Mais aussi l’étrange pouvoir que possèdent ses yeux noirs… pleins de feu, un feu très doux… si doux !… Tiendra-t-il sa promesse ?… Vivra-t-il, non loin de moi, durant quelque temps ?… Cela me réconforterait, ce serait un peu de bleu, dans un ciel presque noir… Et va-t-il tenter vraiment quelque chose, pour ma délivrance ?… Oh ! il ne le pourra… Comme je m’abuse, comme je m’abuse ! »