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Nous montâmes jusqu’au bureau d’un autre Pwatt notable, de l’espèce dite, je ne sais pourquoi, active. C’était un grand sec, noir et distingué, minutieux dans sa mise et dans l’ordonnance des instruments à écrire disposés sur sa table d’ébène. Il but une gorgée d’eau fraîche d’une coupe de cristal et dit :

— L’inspiration, Messieurs, n’est qu’une courte folie. Nous autres, Pwatts actifs, dont je suis le plus célèbre représentant, nous n’avons qu’un guide, qui est la raison.

Raison ? Je feuilletai furtivement le dictionnaire et trouvai :

Raison, subst. fém., mécanisme imaginaire sur lequel on se décharge de la responsabilité de penser.

L’autre poursuivait :

— Comme nos soi-disant collègues les inspirés, nous partons d’un mot ou d’un groupe de mots initiaux. Mais c’est la raison qui nous oblige à le faire car, notre matière étant les mots, c’est des mots que nous devons partir. J’ai considérablement perfectionné l’art de la création poétique en inventant le petit appareil que vous allez voir.

Portant la main à son crâne, avec une touchante simplicité il en souleva le couvercle et je vis, proprement vissée à la glande pinéale, la machine poétique. C’était une sphère de métal suspendue à la Cardan, creuse et remplie, à ce que je compris, de milliers de minuscules