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Mon guide resta un moment à goûter mon ébahissement, puis, en me touchant l’épaule, il me dit :

— Et ils ont arrangé tout ça eux-mêmes, il faut vous dire. Ils sont très ingénieux et entreprenants, et l’Administration s’efforce de mettre tout le matériel possible à leur disposition. Je vais vous guider parmi les divers services et vous pourrez, si bon vous semble, vous entretenir avec les malades. Mais ne leur parlez ni de boire, ni des mondes inférieurs d’où nous venons, ni de leur maladie, car ils pourraient vous faire un mauvais parti. Allons d’abord au Stade.

On appelait ainsi un vaste rectangle sablé, dominé par une statue monumentale, en métal et articulée, de la Machine Humaine, décorée de fleurs en clinquant et cellophane déposées là en bouquets par de pieuses mains. Les pieuses mains en question étaient actuellement posées à plat sur le sol, et servaient de pieds à des corps humains courant la tête en bas sous les regards d’un grand concours de peuple assis sur des gradins. Celui qui arrivait le premier au bout d’une certaine piste recevait un citron pressé et une salade, dont il se régalait, et se croyait quelque chose. D’autres jouaient à se laisser tomber la tête la première d’en haut d’une échelle, et celui qui, tombant de la plus grande hauteur, arrivait à se relever dans les dix secondes, recevait le titre de champion et beaucoup d’applaudissements. D’autres se livraient à