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(Le chœur : qui pue qui pue qui pourrit)
C’est la soif…
(Le chœur : qui peut qui peut qui pourrait)
… de la cervelle
(Le chœur : qui pue qui pue qui pourrit)

Vous voyez, ce n’était pas malin. Après venait « c’est la faim de la bouche », puis « du nez » et « de l’œil », toujours selon le même système, de plus en plus vite, et quelques-uns se mirent à danser là-dessus une danse infernale comme seuls peuvent en danser dans une mare des tétards révoltés qui soudain ne veulent plus devenir grenouilles.

(Ils voudraient devenir des crapauds, ils prétendent que c’est plus lyrique. Ils ne seront ni grenouilles ni crapauds, ils seront de la puanteur qui peut qui peut qui pourrait, ils seront de la nourriture qui pue qui pue qui pourrit pour d’autres.)

Je dirigeais cette sarabande, je me croyais au moins un pape, quand tout à coup j’ai peur : est-ce que je ne deviens pas fou ? Pour me mettre à l’épreuve, je me refis mentalement la théorie de la machine à vapeur. Voilà où j’en étais réduit. Tout à coup je me criai : « Idiot ! » — mais là, alors, pour du bon. Ça y était. Ça pourrait encore durer quelque temps, mais désormais la grande beuverie portait le germe d’une maladie mortelle.