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Je dressai bientôt l’oreille, car la voix de Totochabo s’était faite tragique.

— Maintenant, disait-il, je vous dois un aveu. Je vous ai cité comme références des noms de savants estimés. C’était seulement pour vous inspirer confiance. Vous n’auriez pas osé vous intéresser à des questions non reçues par les sociétés savantes. Maintenant que vous avez mordu à l’hameçon, je laisserai ces Messieurs avec leurs théories.

« J’ai quelques autres idées. Par exemple sur la viscosité du son. Les sons s’étalent sur les surfaces, glissent sur les parquets, coulent dans les gouttières, se tassent dans les coins, se brisent sur les arêtes, pleuvent sur les muqueuses, fourmillent sur les plexus, flambent sur les poils et papillonnent sur les peaux comme l’air chaud sur les prairies en été. Il y a des batailles aériennes d’ondes qui se replient sur elles-mêmes, prennent des mouvements rotatoires et tourbillonnent entre ciel et terre comme le regret indestructible du suicidé qui à mi-chemin de sa chute du sixième étage, soudain ne voudrait plus mourir. Il y a des paroles qui n’arrivent pas à destination et qui se forment en boules errantes, gonflées de danger, comme la foudre parfois quand elle n’a pas trouvé sa cible. Il y a des paroles qui gèlent…

Johannes Kakur éclata encore une fois :