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L’Araucanien ayant bu, il y eut un grand silence. Puis une vieille dame cria sèchement :

— Pas de trucs de magie, ici ! Nous voulons des explications. Qui a cassé la guitare ? Et comment ? Et pourquoi ?

— Pas de trucs scientifiques, cria Othello de sa voix ferrailleuse, l’écume aux lèvres. Pas de trucs scientifiques, hein ? Mais des explications magiques !

— Buvons d’abord, prononça lentement l’homme de derrière les fagots. Ensuite je vous endormirai d’un discours plus ou moins consistant sur les emplois coupants, piquants, contondants, écrasants, désintégrants et quelques autres, du langage humain et peut-être de celui des oiseaux, mais buvons d’abord.

À ce moment, d’ailleurs, des espèces de saucissons chauds étaient arrivés, épicés d’arrache-gueule divers. C’était une autre raison de boire, mise à part la peur de penser, et Dudule le Conspirateur, qui avait vu faire cela au cinéma, allait de l’un à l’autre, offrant, d’un flacon plat tiré de sa poche fessière, de cet horrible alcool de bois aromatisé de citron que les Américains, sous le régime sec, appelaient vodka, cognac, gin, ou simplement drink, selon qu’ils voulaient se rendre plus ou moins intéressants.

Par malheur, j’avais laissé un poète (on l’appelait Solo le brocanteur) s’approcher de moi et commencer un long