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Nous étions dans une fumée épaisse. La cheminée tirait mal, le feu de bois trop vert se rabrouait, les chandelles dégageaient une sauce suifeuse dans l’air, et les nuages du tabac se couchaient en bancs bleuâtres à hauteur de visage. Si l’on était dix ou si l’on était mille, on ne savait plus. Ce qui est sûr, c’est qu’on était seuls. À ce propos, la grande voix de derrière les fagots, comme nous l’appelions dans notre langage de soiffards, s’était un peu élevée. Elle sortait effectivement de derrière un tas de fagots, ou de caisses à biscuits, c’était difficile à savoir à cause de la fumée et de la fatigue ; et elle disait :

— Quand il est seul, le microbe (j’allais dire : l’homme) réclame une âme sœur, comme il pleurniche, pour lui tenir compagnie. Si l’âme sœur arrive, ils ne peuvent plus supporter d’être deux, et chacun commence à se frénétiser pour devenir un avec l’objet de ses tiraillements intestins. N’a pas de bon sens : un, veut être deux ; deux, veut être un. Si l’âme sœur n’arrive pas, il se scinde en deux, il se dit : bonjour mon vieux, il se jette dans ses bras, il se recolle de travers et il se prend pour quelque chose, sinon pour quelqu’un. Vous n’avez pourtant qu’une chose en commun, c’est la solitude ; c’est-à-dire tout ou rien, cela dépend de vous.

On trouva que c’était bien dit mais personne ne se souciait de voir le personnage qui parlait. Il n’était question que de boire. On n’avait encore bu que des tasses d’un tord-boyau infect qui nous avait donné très soif.