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Je parvins à m’esquiver sous un prétexte trivial. Avec un pareil guide, toujours en train de parler et d’expliquer, je ne pouvais rien voir de mes yeux. Or, je voulais observer les Sophes en toute tranquillité : ainsi ai-je pu rester parmi eux assez longtemps, apprenant leur langage et conversant avec les meilleurs d’entre eux.

Vous allez me dire que toutes ces explorations, ces mondes et ces aventures, dans les étroites limites d’un grenier et de quelques heures, c’est peu vraisemblable. D’accord. Mais après une longue soirée de beuverie et de soif, tout est possible. D’ailleurs, quoi ? Il y a à peine une heure que je vous parle. Une histoire de dix ans peut tenir en dix minutes de parole. Dix minutes de parole peuvent tenir en un instant de pensée. Une tragédie de Racine tient en vingt-quatre heures, qui tiennent en une heure de lecture, qui se résume parfois dans le temps d’un sanglot.

J’aurais aimé tout vous dire entre deux phrases. Mais je ne suis pas de force et je reconnaîtrai votre patience en abrégeant.

Mon infirmier m’avait recommandé de ne pas quitter le quartier des Scients sans rendre visite à leurs Épurateurs de comptes. « Mais méfiez-vous de ces sirènes intellectuelles ! » m’avait-il dit, et cette mise en garde n’était pas superflue. Ces êtres quasi surhumains ont pour fonction de recueillir les résultats de recherches de tous les