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— Un lapin et de l’encre rouge ! cria soudain le Professeur en se tournant vers ses assistants. L’un d’eux ouvrit sa valise et en sortit par les oreilles un magnifique lapin russe qui gigotait et grinçait des dents. Un autre apporta un petit baquet de tôle et y mélangea de l’eau avec une poudre rouge. On immergea le lapin et on le sortit écarlate du bain. On l’égoutta, et le Professeur le souleva à bout de bras par les oreilles.

— Qu’est-ce que je tiens là ? demanda-t-il.

— Un lapin teint en rouge.

— Non, jeune homme, non. Ce sont au moins deux cents lapins rouges, comme vous allez voir si vous suivez la bête dans toutes les aventures qui vont lui arriver. Nous allons bientôt pénétrer dans un établissement que j’ai fait aménager pour mes études, sous un prétexte de philanthropie. Des Scients de toute espèce y travaillent à la chaîne. Nous allons leur livrer ce lapin rouge. Vous verrez que chacun aura son lapin et qu’il restera peut-être encore de quoi faire un civet.

Je me laissai conduire. Nous entrâmes dans une galerie qui allongeait devant nous à perte de vue une enfilade de tables de laboratoires. Tous les dix ou douze pas, un Scient vêtu de blanc attendait, armé ou d’un scalpel, ou d’une balance, ou d’un chalumeau, ou d’un calorimètre, ou d’un microscope, chacun enfin avec son instrument