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ronnes et les épais bourgeois qui m’avaient si lâchement blessé.

Longtemps après ma sortie de ce bagne d’Alais[1], il m’arrivait souvent de me réveiller au milieu de la nuit, ruisselant de larmes ; je rêvais que j’étais encore pion et martyr. Par bonheur, cette dure entrée dans la vie ne m’a pas rendu méchant ; et je ne maudis pas trop ce temps misérable qui m’a fait supporter légèrement les épreuves de mon noviciat littéraire et les premières années de Paris. Elles ont été rudes, ces années, et l’histoire du Petit Chose n’en donne aucune idée.

Du reste, il n’y a guère de réel dans cette seconde partie que mon arrivée sans souliers, mes bas bleus et mes caoutchoucs ; puis l’accueil fraternel, le dévoûment ingénieux de cette mère Jacques, Ernest Daudet de son vrai nom, qui est la figure rayonnante de mon enfance et de ma jeunesse. À part mon frère, tous les autres personnages sont de pure imagination.

Les modèles ne me manquaient pas, pourtant, et des plus intéressants, des plus rares, mais, comme je le disais tout à l’heure, j’ai

  1. Alès