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l’intonation paternelle. Par là me fut révélée l’existence de mon double, de l’implacable témoin qui, au milieu de notre deuil, avait retenu, comme au théâtre, la justesse d’un cri de mort, et l’essayait sur mes lèvres désolées. Je regrette, en relisant mon livre, de n’y rien trouver de ces aveux, surtout dans la première partie où le personnage de Daniel Eyssette me ressemble tellement.

Oui, c’est bien moi, ce Petit Chose obligé de gagner sa vie à seize ans dans cet horrible métier de pion, et l’exerçant au fond d’une province, d’un pays de hauts fourneaux qui nous envoyait de grossiers petits montagnards m’insultant dans leur patois cévenol, brutal et dur. Livré à toutes les persécutions de ces monstres, entouré de cagots et de cuistres qui me méprisaient, j’ai subi là les basses humiliations du pauvre.

Pas d’autre sympathie, dans cette geôle douloureuse, que celle du prêtre que j’ai appelé l’abbé Germane et de l’affreux « Bamban » dont la cocasse petite figure, toujours barbouillée d’encre et de boue, se lève vers moi tristement pendant que j’écris ceci.