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se prendre en flagrant délit de tout, comme s’il eût marché toujours accompagné d’un surveillant féroce et redoutable. Non pas ce qu’on appelle la conscience ; car la conscience prêche, gronde, se mêle à nos actes, les modifie ou les arrête. Et puis on l’endort, cette bonne conscience avec de faciles excuses ou des subterfuges, tandis que le témoin dont je parle ne faiblissait jamais, ne se mêlait de rien, surveillait. C’était comme un regard intérieur, impassible et fixe, un double inerte et froid qui dans les plus violentes bordées du Petit Chose observait tout, prenait des notes et disait le lendemain : « À nous deux ! » Lisez le chapitre intitulé « Il est mort ! Priez pour lui ! » une page de ma vie absolument vraie. C’est bien ainsi que la mort de mon frère aîné nous fut apprise, et j’ai encore dans les oreilles le cri du pauvre père devinant que son fils venait de mourir ; si navrant, si poignant, ce premier grand cri de douleur humaine tout près de moi, que toute la nuit, en pleurant, en me désespérant, je me surprenais à répéter : « Il est mort… » avec