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glissait, honteux et tremblant d’être vu ? Comment surtout ai-je laissé à l’apparence du petit homme cette douceur, cette bonne tenue, sans parler de la diabolique existence où il s’emporta brusquement vers sa treizième année dans un besoin éperdu de vivre, de se dépenser, de s’arracher aux tristesses racornies, aux larmes qui étouffaient l’intérieur de ses parents de jour en jour plus assombri par la ruine. Une effervescence de tempérament méridional et d’imagination trop comprimée. L’enfant délicat et timide se transformait alors, hardi, violent, prêt à toutes les folies. Il manquait la classe, passait ses journées sur l’eau, dans l’encombrement des mouches, des chalands, des remorqueurs, ramait sous la pluie, la pipe aux dents, un flacon d’absinthe ou d’eau-de-vie dans sa poche, échappait à mille morts, aux roues d’un vapeur, à l’abordage d’un bateau à charbon, au courant qui le jetait contre les piles d’un pont ou sous un câble de halage, noyé, repêché, le front fendu, taloché par les mariniers qu’exaspérait la maladresse de ce mioche