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à Paris, je laissai bien longtemps mon manuscrit achever de jaunir au fond d’un tiroir, ne trouvant pas dans mon existence morcelée le loisir d’une œuvre de longue haleine ; mais l’hiver suivant, talonné quand même par l’idée de ce livre inachevé, je pris le parti violent de me soustraire aux distractions, aux invasions bruyantes qui faisaient, à cette époque, de mon logis sans défense un vrai campement tzigane, et j’allai m’installer chez un ami, dans la petite chambre que Jean Duboys occupait alors à l’entresol de l’hôtel Lassus, place de l’Odéon.

Jean Duboys, à qui ses pièces et ses romans donnaient quelque notoriété, était un bon être, doux, timide, au sourire d’enfant dans une barbe de Robinson, une barbe sauvage, hirsute, qui ne semblait pas appartenir à ce visage. Sa littérature manquait d’accent ; mais j’aimais sa bienveillance, j’admirais le courage avec lequel il s’attelait à d’interminables romans, coupés d’avance par tranches régulières, et dont il écrivait chaque jour tant de mots, de lignes et de pages. Enfin il avait fait jouer à la Comédie-Fran-