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éblouissante, fraîche à la vue, de la neige au soleil. Je prends un verre, frêle comme une fleur ; j’ai bien soin de ne pas serrer par crainte d’en briser la tige. Que verser dedans ? Allons ! du courage, puisque personne ne me voit. J’atteins un flacon en tâtonnant, sans choisir. Ce doit être du kirsch, on dirait du diamant liquide.


Va donc pour un petit verre de kirsch ; j’aime son parfum qui me fait rêver de grands bois, son parfum amer et un peu sauvage. Et me voilà versant goutte à goutte, en gourmet, la claire liqueur. Je hausse le verre, j’allonge les lévres. Horreur ! De l’eau pure, quelle grimace ! Soudain retentit un double éclat de rire : un habit noir, une robe rose que je n’ai pas aperçus, en train de flirter dans un coin, et que ma méprise amuse. Je veux replacer le verre ; mais je suis troublé, ma main tremble, ma manche accroche je ne sais quoi. Un verre tombe, deux, trois verres ! Je me retourne, mes basques s’en mêlent, et la