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brouillard, un front pensif avec de grosses moustaches. L’habit, par exemple, est là, devant mes yeux. Son image, aprés vingt ans, reste encore gravée dans ma mémoire comme sur l’impérissable airain. Quel collet, jeunes gens, et quels revers ! Quels pans, surtout, taillés en bec de flûte ! Mon frére, homme d’expérience, avait dit : « — Il faut un habit quand on veut faire son chemin dans le monde ! » Et le cher ami comptait beaucoup sur cette défroque pour ma gloire et mon avenir.

C’est Augustine Brohan qui en eut l’étrenne, de ce premier habit. Voici dans quelles circonstances dignes de passer à la postérité :

Mon volume venait d’éclore, virginal et frais dans sa couverture rose. Quelques journaux avaient parlé de mes rimes. L’Officiel lui-même avait imprimé mon nom. J’étais poète, non plus en chambre, mais édité, lancé, s’étalant aux vitrines. Je m’étonnais que la foule ne se retournát pas lorsque mes dix-huit ans vaguaient par les rues. Je sentais positivement sur mon front la pression