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empesée (il faut qu’un employé soit propre !), lui faisaient soigneusement, joyeusement, comme autrefois, son nœud de cravate et l’embrassaient sur la porte, à l’heure réglementaire, s’imaginant qu’il allait à son bureau. Le bureau ? Ah ! il était loin, le bureau, frais l’été, bien chauffé l’hiver, où les heures coulaient si paisibles. Il fallait maintenant battre Paris, sous la pluie, à travers la neige, cherchant un emploi qu’on ne trouvait jamais, et rentrer le soir, la mort dans l’âme, mentir, inventer des histoires sur un sous-chef qui n’existait pas, sur un garçon de bureau fantastique, tout en se donnant un petit air gai. (Je me suis servi du pauvre homme pour le type du père Joyeuse dans mon roman du Nabab ; en quête d’une place, lui aussi, mentant à ses filles.) Je le rencontrais quelquefois, c’était navrant. Sa détresse me décida à aller trouver Villemessant. Villemessant, pensais-je, lui trouvera bien un petit coin au Figaro, dans l’administration. Impossible : toutes les places étaient prises. Et puis un communard, pensez donc ! le beau tapage si on avait découvert que Villemessant em-