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c’est-à-dire cet infiniment petit morceau de Paris qui mène son train entre le Gymnase et l’Opéra, Notre-Dame-de-Lorette et la Bourse, et s’imagine exister seul : des coulissiers, des comédiens, des journalistes ; sans compter la légion agitée, affairée, des bons boulevardiers qui ne font rien. Vingt ou trente garçons en permanence frisent et rasent tout cela.

Surveillant tout, l’œil aux rasoirs et aux pots de pommade, çà et là, rôde le patron, Lespès, petit homme alerte que la fortune faite (car il est très riche) aurait pu engraisser, mais que certaine ambition déçue entretient dans un état de fièvre convenable. C’est dans cette maison vraiment prédestinée, qu’il y a vingt ans, à l’entre-sol même où Lespès fait la barbe, le Figaro avait ses bureaux. Voici le couloir, les abonnements, la caisse et, derrière une grille en fil de fer, l’œil rond et le bec du père Legendre, toujours irrité, rarement aimable, comme un perroquet qui serait caissier. Voici la salle de rédaction (Le public n’entre pas ! sur les vitres dépolies de la porte) ; quelques chaises,