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conte, la vie russe m’est apparue à travers ses récits comme une existence châtelaine, dans un domaine algérien entouré de gourbis.

Tourguéneff nous parlait du paysan russe, de son alcoolisme profond, de son engourdissement de conscience, de son ignorance de la liberté. Ou bien c’était quelque page plus fraîche, un coin d’idylle, le souvenir d’une petite meunière rencontrée en terre de chasse dont il était resté quelque temps amoureux.

— Que veux-tu que je te donne ? lui demandait-il toujours.

Et la belle fille, en rougissant :

— Tu m’apporteras un savon de la ville, pour que je me parfume les mains, et que tu les embrasses comme tu fais aux dames.

Après l’amour et la mort, on causait des maladies, de l’esclavage du corps traîné comme un boulet. Tristes aveux d’hommes qui ont passé la quarantaine ! Pour moi, que les rhumatismes ne rongeaient pas encore, je me moquais de mes amis, de ce pauvre Tourguéneff, que la goutte torturait, et qui