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dames » au concert Pasdeloup, et je descendis avec lui. J’étais enchanté d’apprendre qu’il aimait la musique. En France, les gens de lettres l’ont généralement en horreur, la peinture a tout envahi. Théophile Gautier, Saint–Victor, Hugo, Banville, Goncourt, Zola, Leconte de l’Isle, tous musicophobes. À ma connaissance, je suis le premier qui ai confessé tout haut mon ignorance des couleurs et ma passion des notes ; cela tient sans doute à mon tempérament méridional et à ma myopie, un sens s’est développé au détriment de l’autre. Chez Tourguéneff, le goût musical était une éducation parisienne. Il l’avait pris dans le milieu où il vivait.

Ce milieu, c’était une intimité de trente ans avec Mme Viardot, Viardot la grande chanteuse, Viardot-Garcia, la sœur de la Malibran. Isolé et garçon, Tourguéneff habitait depuis des années dans l’hôtel de la famille, 50, rue de Douai. « Ces dames » dont il m’avait parlé chez Flaubert étaient Mme Viardot et ses filles qu’il aimait comme ses propres enfants. C’est dans cette demeure hospitalière que je vins le visiter.