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sortait de ses recherches la conscience bourrelée de scrupules littéraires qui tuaient sa veine, et le dégoûtaient d’oser. Je me souviens que dans une nouvelle qu’il écrivait alors, il n’avait pas cru pouvoir risquer « ses yeux pâles » par peur des Quarante et de leur définition de l’épithète.

Ce n’était pas la première fois que je me heurtais à ces inquiétudes ; je les avais déjà trouvées chez mon ami Mistral, fasciné lui aussi par la coupole de l’Institut, le monument macaronique qui décore en médaillon circulaire la couverture des éditions Didot.

À ce sujet, je dis à Tourguéneff ce que j’avais sur le cœur, que la langue française n’est pas une langue morte, à écrire avec un dictionnaire d’expressions définitives classées comme dans un Gradus. Pour moi, je la sentais frémissante de vie et houleuse, un beau fleuve roulant à pleins bords. Le fleuve ramasse bien des scories en route, on y jette tout ; mais, laissez couler, il fera son tri lui-même.

Là-dessus, comme la journée s’avançait, Tourguéneff dit qu’il allait chercher « ces