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séparés, les personnages bien vivants, debout dans mon esprit, je commence à écrire vivement, à la grosse. Je jette les idées et les événements sans me donner le temps d’une rédaction complète ni même correcte, parce que le sujet me presse, me déborde, et les détails, et les caractères. Cette page noircie, je la passe à mon collaborateur, je la revois encore à mon tour, enfin je recopie, avec quelle joie ! Une joie d’écolier qui a fini sa tâche, retouchant encore certaines phrases, complétant, affinant : c’est la meilleure période du travail. Fromont fut fait ainsi dans un des plus vieux hôtels du Marais où mon cabinet, aux vastes fenêtres claires, donnait sur les verdures, les treillages noircis du jardin. Mais au delà de cette zone de calme et de pépiements d’oiseaux, c’était la vie ouvrière des faubourgs, la fumée droite des usines, le roulement des camions, et j’entends encore sur le pavé d’une cour voisine les cahots d’une petite brouette de commerce qui, au moment des étrennes, trimballait des tambours d’enfants jusque dans la nuit de sept heures du soir.