zac ou de Dickens l’amusait trop, ne lui donnait pas la fierté du livre classique lentement déchiffré. Dans les repos, je le faisais causer sur son existence, les milieux ouvriers dont il avait une perception très fine, bien au-dessus de son âge et de son métier. Il sentait le côté douloureux ou comique des choses, la grandeur de certains spectacles de la vie d’usine. Ainsi le lancement de la machine que je raconte dans Jack est un de ses souvenirs d’apprenti. Ce qui m’intéressait surtout, c’était le réveil, l’affinement de cette intelligence, comme une mémoire lointaine qui lui revenait à l’excitation des livres et de nos causeries. Un changement se faisait même dans l’être physique redressé par l’effort intellectuel. Malheureusement, la vie allait nous séparer. Et tandis que je rentrais à Paris pour l’hiver, Raoul, reprenant l’outil, s’embauchait aux ateliers du chemin de fer de Lyon. Je le revis deux ou trois fois en six mois ; chaque fois plus maigre et plus changé, désespéré de sentir qu’il était décidément trop faible pour son métier. « Eh bien ! quittez-le…
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