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brasserie, d’un si singulier effet sous les grands chênes ; Marlotte s’en ressent encore. Dix ans après la mort de Murger, — mort, comme on sait, à l’hôpital Dubois, — je me trouvais là avec quelques amis, chez la mère Antony, cabaret célèbre ! Un vieux paysan buvait près de nous, un paysan à la Balzac, terreux et tanné. Une vieille vint le chercher, en guenilles, coiffée d’un madras rouge. Elle l’appela mange-tout, ivrogne ; lui, voulut la faire trinquer.

— Votre femme n’est pas douce ! dit quelqu’un, lorsqu’elle fut partie.

— Ce n’est pas ma femme, c’est ma maîtresse ! répondit le vieux paysan.

Il aurait fallu entendre de quel ton ! Évidemment, le bonhomme connaissait Murger et ses amis, et menait la vie de bohême à sa manière.

Rentrons à la brasserie. À mesure que mes yeux s’habituaient au picotement de la fumée, je voyais à droite et à gauche, de tous les coins, dans le brouillard, émerger des têtes fameuses.

Chaque grand homme avait sa table, qui