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gardant, au milieu des plus échevelées fantaisies, le stigmate indélébile, la marque bourgeoise d’origine, était demeuré légendaire. La peinture n’ayant pas voulu de lui, Desroches s’était rué sur la littérature. Il venait de faire les Raisins muscats, — inspirés peut-être par sa vigne, — les Raisins muscats, cent lignes, un article ! Vainement, depuis, essaya-t-il d’en faire un autre ; jamais il ne put retrouver la veine, et atteignit quarante ans, ayant pour œuvres complètes les Raisins muscats !

La conversation, les fusées de l’ami Desroches m’amusaient ; seulement, son intérieur ne me plaisait guère. Je ne retournai plus à Montmartre, mais je passais l’eau quelquefois, le soir, pour aller le voir rue des Martyrs, à la brasserie. La brasserie des Martyrs, si calme maintenant, et où les merciers de la rue font leur partie de dames, représentait alors une puissance en littérature. La brasserie rendait des arrêts, on était célèbre par la brasserie ; et, dans le grand silence de l’empire, Paris se retournait au bruit que faisaient là, tous les soirs, quatre-vingt