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étonner, de la part d’un homme d’esprit, il envoya ses œuvres dramatiques à Jouvin, comptant que Jouvin aurait plus de goût que Rochefort et ferait, dans le Figaro, un article réparatoire.

Jouvin accepta le volume, ne fit pas l’article, et l’infortuné duc dut garder sur le cœur la prose amère que lui avait fait avaler Rochefort. Alors il se passa une chose extravagante, invraisemblable au premier abord, et malgré tout profondément humaine. Morny, ce Morny adulé, tout-puissant, se prit subitement, pour l’homme qui n’avait pas craint de le railler, d’une sorte d’affection craintive et rancunière. Il aurait voulu le voir, le connaître, s’expliquer avec lui, comme deux amis, dans un coin. On s’ingéniait dans l’entourage pour prouver que Rochefort ne possédait ni esprit ni style, et que son jugement n’était d’aucun poids. Des flatteurs (un vice-empereur en a toujours !) allaient sur les quais, collectionnant de petits vaudevilles, péchés de jeunesse de Rochefort, les analysaient, les épluchaient et soutenaient par mille raisons probantes