Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/205

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sous terre. La pièce que ces braves gens applaudissaient, je la trouvais infâme, odieuse. Ô misère ! c’était là ce que j’avais rêvé, ce gros homme qui, pour paraître paterne et vertueux, s’était fait la tête de Béranger ! J’étais injuste, bien entendu : Tisserant et Rousseil, tous deux artistes de grande valeur, jouaient aussi bien qu’on peut jouer, et leur talent n’était pas pour peu de chose dans mon succès. Mais la désillusion était trop forte, la différence trop grande entre ce que j’avais cru écrire et ce qui se montrait maintenant, avec toutes ses rides visibles, tous ses trous éclairés au jour sans pitié de la rampe ; et je souffrais réellement de voir mon idéal ainsi empaillé. Malgré l’émotion, malgré les bravos, je me sentais pris d’un indicible sentiment de honte et de gêne. Des bouffées chaudes, d’ardentes rougeurs me passaient sur les joues. Il me semblait que tout ce public de carnaval se raillait de moi, devait me connaître. Suant, souffrant, perdant la tête, je doublais les gestes des acteurs. J’aurais voulu les faire marcher plus vite,